dimanche 21 décembre 2008

SÃO JOÃO DO TIGRE ET LE SERTÃO


Voilà une chose de faite, à rayer dans la liste des "je n'ai pas pu encore..." hier départ à l'aube de Recife pour aller passer ce week-end dans l'état de Paraíba à São João do Tigre où les parents de Maricélia ont une maison. On atteint Pesqueira dans la matinée puis c'est Cimbres, près de là vit une communauté indigéne, les Xukuru qui occupe une terre assez vaste et fertile. Leurs enfants sont scolarisés dans leur langue mais à part ça, ils ne conservent pas de coutumes spécifiques, me dit-on.

Comment savoir qu'on passe du Pernambouc au Paraíba? Simple comme bonjour, la route asphaltée s'arrête brusquement , c'est la limite. Elle fait place à une piste de terre, c'est aussi tapecul d'un côté que de l'autre, il y a la poussière en plus maintenant qu'on vient de pénétrer dans le sertão, cette zone au climat semi-aride qui couvre 8 états du Nordeste et une superficie de 2 fois la France. Le paysage change, plus sec, c'est la caatinga, type de végétation caractérisée par des petits arbres épineux, beaucoup de cactus et une herbe séche et rare. Le sertão , c'est la terre des cangaceiros aussi, une des zones les plus pauvres du Brésil que j'ai toujours voulu connaître, à cause des films de Glauber Rocha, d'écrivains comme Garcilaso Ramos ou d'ouvrages comme "Géographie de la faim" de Josué de Castro, dont la pensée a servi et sert encore de référence pour beaucoup ici (pour le MST, le programme Faim zéro de Lula...)


On revient à cette route poussiéreuse, on passe sur le lit d'une rivière complétement à sec mais qui , durant la courte période où il pleut, peut être en crue et rendre la route impraticable. A la saison des pluies le sertão reverdit aussi, arbres, fleurs et plantes qui vont survivre quelques mois avant de succomber sous la sécheresse. Enfin on y est , la maison est grande, blanche et bleue sur ce fond sec, Maurismar et Sonia ont vécu là au début de leur mariage. Au petit déjeuner, devant des papayes, ils nous évoquent la ferme telle qu'elle était, ils produisaient fruits et légumes, vivant presque en autarcie. De minuscules grenouilles élisent domicile dans les WC de la maison, cherchant l'eau d'où mon bond quand l'une d'elles me saute sur les fesses alors que je m'assois pour faire pipi. Autre animal familier, la chuave souris qui vient faire untour dans la chambre quand on laisse la fenêtre ouverte. Pour vous planter le reste du décor, au-delà du portail d'entrée et du bout de jardin, ils ont des terres mais totalement incultes. Sur le côté, la maison de la famille qui s'occupe de la ferme et vit de l'élevage de chévres et boucs, la viande la plus consommée ici. Tour d'horizon aprés le déjeuner, un peu en creux derrière les enclos où broutent les chévres, un étang , pas très plein à vrai dire, mais pendant la saison des pluies il peut arriver jusqu'au niveau de la maison. Un peu loin, il y a une pompe éolienne de l'ancien temps pour capter l'eau souterraine, qui passe ensuite dans une cuve etc. ,on repart vers le chemin qui conduit à la route , des cactus, des cactus et encore des cactus , on trouve aussi deux sorte de caroubiers et des épineux. Dans le jardin, tache de couleur sur ce fonds poussiéreux une variante de jasmin qui donne des fleurs blanches et rouges. Dans les bruits qui troublent parfois le silence, un âne brait, les clochettes des chèvres tintent et de temps à autre , un bruit de moto ou de voiture pour rappeler que le monde existe. Petit tour au bourg à quelques kilométres de là. 4 rues dont la principale , avec un terre-plein au milieu mène á l'église. Des femmes vendent des fruits dans des caisse posées sur le trottoir est l'odeur des goyaves quand on passe fait plus qu'envie. Maricélia va me montrer comment chupar uma manga, sucer une mangue, en faisant juste une fente à une extrémité et presser sur le fruit , on l'ouvre pour profiter de la pulpe seulement quand il n'y a plus de jus.
Le nom de la ville vient d'une chapelle construite en l'honneur de saint Jean Baptiste, d'autre part on aurait assimilé les onces peuplant la zone, apparaissant sur les peintures rupestres du lieu à des tigres d'où le nom actuel. L'activité artisanale la plus connue c'est le travail des dentellières, celles d'ici sont réputées pour la qualité de leur travail, elles se sont regroupées en coopérative. L'une dessine les motifs tandis que les autres brodent . Mais São João do Tigre ça veut dire aussi problémes de soin si vous êtes malade, la maternité locale et fermée, Sonia qui a mal à la tête aimerait faire prendre sa tension, pas moyen , le poste aux médicaments est fermé et dans l'autre endroit pas possible, car elle n'est pas de la même couleur politique. Petit bourg, tout se sait si vous avez voté comme moi, vous avez plus de chance d'être servi que si vous êtes dans l'opposition. Ça c'est la plaie locale, dit Maurismar. faut pas être pressé si jamais vous devez faire appel à quelqu'un sympathisant du parti opposé. Comme tout bar qui se respecte, celui de São João sert aux discussions politiques entre hommes mais ça peut prendre une allure spéciale s'il y a des repentistas, ces rimeurs qui s'affrontent oralement en vers, à coups de rime accompagnés par une petite guitare. Ça c'est Moisés qui raconte à son retour de la ville, j'aurais bien aimé voir le duel mais apparemment le bar n'est pas un endroit pour les femmes.
Au crépuscule, le ciel se zébre d'éclairs , j'ai eu droit à la pluie dans le sertão alors que Maurismar dit qu'il n'a pas vu pleuvoir depuis 3 ans! Un luxe! Il va de nouveau pleuvoir le lendemain, la terre respirera un peu, elle prend une autre couleur , semble plus brillante.