vendredi 26 décembre 2008

GONZAGA DE GARANHUNS


J’arrive ponctuelle au rendez-vous avec Gonzaga de Garanhuns au centre culturel de la ville. mais il y est déjà en train de discuter avec Wagner, le jeune qui m’a reçue le jour d’avant. C'est un homme trés cordial qui va d’abord me montrer la maquette de la couverture du livre qu’il vient de terminer et dont la publication est imminente “Garanhuns em versos, um pouco da sua história”. Puis c'est un long échange de plus de 3 heures sur le cordel , en voici quelques passages et le mieux c'est que je lui laisse la parole.

La literatura de cordel c’est mon sport favori, il rit, mais je ne voudrais pas en faire une profession, ça non! Avec ses exigences et caractéristiques, surtout pour la métrique, chaque vers compte 7 syllabes toniques, ça le rend facile à chanter.

Plus tard, au cours de la matinée, il va me chanter un cordel en insistant: Si le cordel n’a pas 7 syllabes, c’est impossible à chanter.

Il évoque la figure de Joseph Luyten, un chercheur d’origine hollandaise qui fit de nombreux voyages au Japon, en Hollande, en France aussi à Poitiers où vivait Raymond Cantel, spécialiste de cordel lui aussi (pour la petite histoire c’est avec le précis de grammaire de Cantel que j’ai appris le portugais en fac). Un jour, Luyten lui rendit visite, Gonzaga s’en émeut encore aujourd’hui et il me raconte l’anecdote suivante. “Il faisait un froid, um froid de canard mais Luyten, lui, voulait absolument boire une bière, moi je n’en avais pas trop envie mais comment lui refuser ça, tout de suite aprés je lui propose qu'on se prenne uma cachaça, mais surtout faut rien dire à ma femme, promis?” et Luyten resta coi. Il est mort le jour même de ma présentation au festival d’hiver de la ville, le 27 juillet 2006...

C’est mon grand-père de Paraíba qui va insister pour que j’étudie, en milieu rural ce n’était pas évident, on n’étudiait pas par niveau à l’époque , on étudiait par livre. Qui lisait était considéré comme un docteur, um savant. En lisant des cordels, j’ai appris à écrire. Je travaillais, gamin, dans les champs de coton, quand je pouvais j’allais sur les marchés et m’achetais des cordels.

En 1973 il compose son premier cordel “Lampião na Serrinha” qu’il va me donner et me dédicacer après. Il poursuit: Pour la petite histoire, jétais en train de lire le journal et on y parlait de cordel à Caruaru et de la richesse culturelle de cette ville, alors ça m’a fait réfléchir et je me suis dit, ici ce n’est pas le cas mais ça peut le devenir, et voilà. Depuis je n’ai pas arrêté, mes sujets préférés....l’histoire de ma terre, Garanhuns, Lampião, Luis Gonzaga o rei do baião, les blagues et l'actualité. Mon dernier titre c’est “Direito e ciudadania em literatura de cordel”, celui-là, je l’ai écrit une nuit où je me suis réveillé à 3h30 du matin. Eh bien, à 6 h il était fini!

J’écris aussi pour les enfants, avec "O nascimento do poeta " (la naissance du poète), ils ont beaucoup ri, ça faisait plaisir à voir

Mon cordel, "O vôo da asa branca" fut le premier écrit sur la mort de Luis Gonzaga en 1989.

Gonzaga avoue: Jai deux passions dans ma vie, le cordel et le reisado* .
Il est très fier du rôle qu’il a joué pour faire connaître le reisado de Garanhuns.
J’ai fait um CD de reisado, pour moi pas de problème, on peut le pirater. Un jour, on a publié um livre sur Luis Gonzaga, j’ai eu la surprise de voir que mes vers étaient reproduits là, on ne m’avait rien demandé mais ce n’est pas grave, j’ai plaisir à voir mon nom divulgué. On me sollicite souvent pour le festival d’hiver qui a lieu ici en juillet.
Il parle aussi de ses cordels envoyés dans différents musées du monde , des prix qu'il a gagnés.
A mon avis, pas de risque que le cordel disparaisse, il est dans les mains des intellectuels, moi je crois que c’est plus un vrai cordel quand c’est écrit par quelqu’un du peuple que par un intellectuel. Là aussi je sens chez Gonzaga comme j'ai pu sentir chez d'autres une certaine réserve par rapport aux cordelistes intellectuels comme il les appelle.
Il a des projets à la pelle, achever 2 cordels sur le sertão et un livre de contes en prose.Et puis je suis en train de terminer “O conto da asa branca” sur Luis Gonzaga, em 2009, ça fera 20 ans qu’il est mort, si Dieu le veut, je ferai le lancement du livre à Exu, sa terre natale.
Il voudrait aussi monter à Garanhuns une maison du cordel , et s'il ne peut obtenir de subventions, il est prêt à faire ça tout seul , quitte à l'installer chez lui .
Gonzaga va aussi m’expliquer pêle-mêle qu’il n’aime pas les anglicismes dans le portugais du Brésil , qu' il existe une literatura de cordel porno, vendue sous pochette plastique pour ne pas tomber dans les mains des gosses.
On revient à Lampião, il me lit avec forces gestes et intonation son cordel sur l’histoire du cangaceiro, un des plus grands stratèges du Nordeste, à qui tout le monde obéissait. Gonzaga est d'ailleurs membre d’ ESBEC (Etude Sociale Brésilienne du Cangaço) il est allé jusqu'à Serra Talhada, lieu de naissance de Lampião et à 45 km de là, il a eu l’occasion de parler avec des cousins du cangaceiro. Il m’explique que le premier ennemi de Lampião, Saturnino, faisait partie de sa famille, la famille Nogueres. Lors d’un deuxième voyage dans le sertão, il va rencontrer trois survivants de la bande à Lampião âgés de 96, 102 et 94 ans à Palo Afonso dans l’état de Bahia. Sur ce , il m'entraîne visiter le centre culturel, ancienne gare de la ville et dans la salle de spectacles actuelle, passaient autrefois les rails.


* (un mélange de représentations scéniques de Noël et des chants des rois mages, les personnages dansent, chantent et conversent vêtus de vêtements colorés).